LE PRINCIPE DE NON-VIOLENCE

Le principe de non-violence
Le principe de non-violence

« Gandhi n'est pas seulement pour nous le guide héroïque de son peuple immense, qui revendique sa liberté - et qui la prendra. Il est la lumière la plus sûre, la plus pure qui brille au sombre ciel de notre temps.

Dans les tempêtes où le vaisseau croulant de notre civilisation menace de se perdre corps et biens, il est l'étoile qui nous montre la route - la seule route qui nous reste ouverte vers le salut. Cette route est en nous. Elle est la suprême énergie. Elle est la Non-Acceptation héroïque. Elle est le refus dressé par l'âme fière contre l'injustice et la violence. Elle est la révolution de l'Esprit.

Cette Révolution n'oppose pas entre elles les races, les classes, les nations, les religions. Elle les unit. Elle éveille en chacun des hommes le feu profond de l'Âme Unique, qui a fait surgir l'humanité du néant, où sa frénésie aspire à la faire rentrer. »

                                                                                                Romain Rolland, 1er octobre 1930

Conclusion

L'idée dominante qui a prévalu jusqu'à présent dans nos sociétés, c'est qu'il n'est possible de lutter efficacement contre la violence qu'en lui opposant une contre-violence. Si tant de philosophes, ayant affirmé l'exigence éthique de non-violence, n'ont su, en définitive, faire autrement que de reconnaître la nécessité et la légitimité de la contre-violence, c'est parce qu'ils n'ont pas été en mesure de concevoir une action non-violente contre la violence.

Tout, dans notre culture, nous conduit à penser notre rapport à la violence à travers le couple violence / contre-violence et non à travers le couple violence / non-violence. La conviction qui fonde l'option pour la non-violence, c'est que la contre-violence n'est pas efficace pour combattre le système de la violence parce qu'en réalité elle en fait elle-même partie, qu'elle ne fait donc que l'entretenir, le perpétuer.

Le principe de non-violence implique l'exigence de rechercher une manière non-violente d'agir efficacement contre la violence. L'expérience de nombreuses luttes a montré l'efficacité de la stratégie de l'action non-violente pour permettre aux hommes et aux peuples de recouvrir leur dignité et leur liberté. Certes, cette efficacité est forcément relative et l'échec est toujours possible, mais l'action non-violente permet à l'homme d'avoir une attitude cohérente et responsable face à la violence des autres hommes.

Cependant, ce n'est pas l'efficacité de l'action nonviolente qui justifie le principe de non-violence. Si nous voulions nous en tenir à fonder la pertinence du principe de non-violence sur l'efficacité de l'action non-violente, tôt ou tard nous viendrions nous heurter aux limites de cette action et, à ce moment-là, nous devrions récuser le bienfondé de ce principe.

Le principe de non-violence nous conduit à opérer une révolution copernicienne dans notre manière de penser l'efficacité de la lutte contre la violence. Depuis des siècles, nous sommes habitués à penser l'efficacité comme étant essentiellement l'effet de la violence. Plus ou moins consciemment, nous en sommes arrivés à identifier l'efficacité à la violence. Mais nous ne voulons percevoir que l'efficacité de la violence et nous nous refusons à voir la violence de l'efficacité, c'est-à-dire que nous occultons à nos propres yeux la violence de la violence.

A travers le couple violence / contre-violence, la lutte contre la violence est menée par l'opposition frontale à ses effets mécaniques. Il s'agit d'un choc de deux forces physiques de même nature. Pour vaincre la violence, il est alors nécessaire de mettre en oeuvre une plus grande violence. Certes, dans l'immédiat, la contre-violence peut réussir à briser le ressort de la violence adverse et nous faire croire que nous avons obtenu une victoire.

Mais, en réalité, cette victoire a toute chance de se révéler illusoire car, en définitive, nous avons conforté l'emprise de la violence sur l'histoire, nous avons contribué à enfermer l'histoire dans la logique de la violence, nous avons fait de la violence une nécessité. Recourir à la contre-violence pour combattre la violence, c'est prendre le risque d'allonger indéfiniment la chaîne des violences. A travers le couple violence / nonviolence, il s'agit de briser cette chaîne. Certes, l'action non-violente vise également à interrompre les effets de la violence, mais en s'efforçant d'abord de lutter contre ses causes. Plutôt que de vouloir contenir les eaux du torrent, il s'agit de le tarir à sa source.

Henri-Bernard Vergote a souligné avec justesse que « la violence ne saurait être prise pour une simple variété de la force » : « A la lumière de la spiritualité qui la comprend comme son opposé, elle apparaît aussi bien comme une attitude ou une manière d'être 1. » De même, précise-t-il, la spiritualité n'est pas une force, mais une attitude. Dans cette optique, il dénonce « le malentendu sur la spiritualité considérée du seul point de vue de sa possible efficacité : on la justifie alors de paraître une force, pourvue qu'elle apparaisse comme l'opposé symétrique de la force physique, produisant les mêmes effets mais par d'autres moyens 2 ».

En effet, avant d'être une action, la violence est une attitude, une attitude envers les autres hommes qui engendre une attitude à l'égard de la mort et du meurtre. (Notons que la lâcheté est également une attitude.) De même, la non-violence est d'abord et essentiellement une attitude, une attitude autre que (la lâcheté et) la violence, une autre attitude envers les autres hommes qui engendre une autre attitude à l'égard de la mort et du meurtre. Elle est l'attitude éthique et spirituelle de l'homme debout qui reconnaît la violence comme la négation de l'humanité et qui décide de refuser de se soumettre à sa domination. Pareille attitude se fonde sur la conviction existentielle que la non-violence est une plus forte résistance à la violence que la contre-violence. Ce que vise, en définitive, l'action non-violente, c'est de créer les conditions qui permettent à l'adversaire qui a choisi la violence de changer d'attitude. Cette visée est un pari qui comporte un risque de mort. C'est précisément dans ce risque que se trouve l'espérance de la vie.

Si la non-violence n'était qu'une méthode d'action qui chercherait à atteindre par d'autres moyens ce que vise la violence, il faudrait alors la juger seulement par ses résultats qui seuls la justifieraient. Et il conviendrait de changer de méthode dès lors qu'elle serait jugée inefficace. Mais si la non-violence est une attitude, l'attitude de l'homme raisonnable qui cherche à donner sens et transcendance à son existence, alors elle est justifiée par elle-même. Et l'homme raisonnable n'a pas de raison de changer d'attitude. Cependant, si la non-violence est une attitude qui résulte d'une option personnelle, elle nourrit un projet de civilisation qui a vocation à s'inscrire dans l'histoire. La construction de cette civilisation de la non-violence représente aujourd'hui un enjeu majeur pour l'avenir de l'humanité comme pour celui de chacune de nos sociétés. Elle requiert le meilleur des énergies de tous les hommes de bonne volonté.

Chacun, à sa mesure, a la possibilité d'agir pour créer des brèches dans le système de la violence qui domine nos sociétés, des brèches qui soient autant d'ouvertures vers un avenir où l'homme reconnaîtra l'autre homme comme son semblable. S'il ne serait pas raisonnable d'affirmer que cette civilisation de la non-violence triomphera - il n'est malheureusement ras vrai que «la vérité finit toujours par triompher» -, i est certainement raisonnable de vouloir agir pour qu'elle puisse peu à peu prévaloir sur les archaïsmes dont nous sommes encore prisonniers. Nous avons la conviction profonde qu'à l'aube du XXIème siècle, c'est dans cette volonté que réside l'espérance des hommes.

 

1. Henri-Bernard Vergote, « Esprit, violence et raison », Études, mars 1987, p. 368.

2. Id., ibid., p. 364.

 

Table des matières

Avant-propos

1. Dans un monde de conflits

2. Ré-flexion sur la violence

3. La non-violence comme exigence philosophique

4. L'homme non-violent face à la mort

5. Principes de l'action non-violente

6. La violence et la nécessité

7. L'État comme violence institutionnalisée

8. La non-violence comme exigence politique

9. La résolution non-violente des conflits

10. Des alternatives non-violentes à la guerre.

11. Violence et non-violence dans l'histoire selon Éric Weil

12. Dialogue avec Éric Weil

13. Gandhi, l'exigence de non-violence

14. Gandhi, artisan de la non-violence

15. Les chances d'une culture de la non-violence

Conclusion

Quatrième de couverture

Jean-Marie Muller

LE PRINCIPE DE NON-VIOLENCE

L'ambition de ce livre est de fonder le principe de la non-violence en face de la pensée la plus répandue qui fait de la violence une donnée nécessaire et universelle .

Jean-Marie Muller propose ici un débat où il part de l'individu dans son rapport avec sa propre violence pour aboutir à la société dans son ensemble. IlI pose la non-violence comme une exigence politique possible, véritablement utile dans la résolution des conflits de notre temps, et définit les chances d'une culture de la non-violence comme avenir de l'humanité.

L'AUTEUR

Jean-Marie Muller

Ecrivain et militant, est membre-fondateur du Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN).